19/08/2010

Témoignage de Patricia Verrière Cuénot

Patricia Verriere-Cuenot, Directeur Associé Supply Chain Transformation (ECLi 87)

P Verrière.JPG
Que pensez-vous de la proposition de loi sur la parité dans les instances dirigeantes des entreprises adoptée par l’Assemblée Nationale le 20 janvier ?
Il me semble qu’imposer la parité est une prise de position dangereuse. Bien évidemment, je regrette que le niveau de représentation féminine soit faible dans les instances dirigeantes, que ce soit dans le milieu de l’entreprise ou dans le milieu politique (parlement). Pourtant, si nous imposons la parité, la présence des femmes risque d’être perçue comme une obligation et les femmes être considérées comme des participantes de seconde catégorie, non reconnues pour leurs compétences mais imposées par leur seule qualité de femme. Il me semble qu’il faudrait réussir à dépasser ce stade et trouver d’autres moyens pour parvenir à cet équilibre.

Avez vous contribué à l’amélioration de l’équité au sein des équipes, de l’encadrement ?
J’essaie, bien entendu, de veiller à l’équité au sein de mes équipes. Cette équité à laquelle je suis attachée se fonde logiquement sur des critères de qualités personnelles et de compétences. La recherche de la complémentarité des membres de mes équipes conduit naturellement à un équilibre hommes-femmes.

Comment conciliez-vous votre vie professionnelle avec votre vie de famille ?
Nous avons aujourd’hui la chance de vivre dans une société, et à une époque où le modèle stéréotypé de la femme est moins pesant. Une grande diversité de choix de vie est désormais acceptée. Une femme peut décider d’être mère au foyer, ou de se consacrer à plein-temps à sa vie professionnelle, avec toutes les nuances intermédiaires possibles. Tout est théoriquement possible, même si les pressions sociales et la faiblesse des moyens mis à disposition des couples restent des obstacles récurrents. Il reste beaucoup à faire pour faciliter la vie des mères, et des couples, qui décident de s’investir professionnellement.

Quels freins, intrinsèques ou extrinsèques avez-vous connus ?
J’ai rarement rencontré de freins explicites dans ma carrière. Capgemini Consulting recrute autant d’hommes que de femmes et l’évolution interne est décidée au cours de comités d’évaluation, fondés sur des éléments factuels de performance, gommant autant que possible les différenciations homme - femme.

Un conseil à donner aux Centraliennes ?
Il m’est arrivé d’être confrontée à des personnes étonnées de voir une femme dans cette fonction et s’interrogeant sur ma capacité à l’exercer. Je n’ai jamais cherché à jouer la carte de la séduction féminine, ni à ressembler ou à me comporter comme mes collègues masculins. La seule bonne réponse que j’ai trouvée, à ce stade, est de me concentrer sur ce que j’ai à faire et de le faire aussi bien que possible. Cherchez surtout à être vous-mêmes et avant tout à être de bonnes professionnelles, c’est à mon avis ainsi que chacune peut exprimer ce qu’elle a de meilleur et le vivre bien.

Grandes Ecoles au Féminin : les 10 mesures pour une plus grande mixité

Clarisse Reille (ECP 81), ENA, Médiateur délégué à l’Industrie, Présidente de Grandes Ecoles au Féminin

ClarisseReilleWEF02.jpgGEF est une Association d’Associations qui regroupe les femmes diplômées de neuf grandes écoles : Centrale Paris, ENA, ESCP, ESSEC, HEC, INSEAD, Mines de Paris, Ponts, X.
Au total, GEF représente 32 000 diplômées et un flux de 1 200 nouvelles diplômées chaque année pour un total de 3 600 femmes.
L’Association, créée en 2002, a pour objectif :
- de constituer un observatoire des femmes diplômées,
- de développer la prise de conscience des dirigeants sur l’intérêt de la mixité en entreprise,
- de développer des initiatives au sein des réseaux membres.
Retrouvez GEF sur http://www.grandesecolesaufeminin.net/


GEF exerce une grande vigilance afin que ce sujet ne soit pas traité comme « un gadget médiatique ».
Clarisse remarque que l’accès des femmes à des postes à responsabilité n’a pas évolué depuis que GEF existe. Clarisse parle de « cape d’invisibilité », notamment due à des phénomènes culturels et à des fonctionnements en réseaux très étroits : le corps des X Mines au sein des X, celui des inspecteurs des Finances au sein de l’ENA, où la proportion de femmes est encore plus faible que celle de leurs écoles d’origine ! Car les études lancées par GEF et réalisées par IPSOS soulignent qu’hommes et femmes issus des Grandes Ecoles ont les mêmes attentes quant à leur carrière : « les femmes qui ont fait ces écoles veulent faire carrière, elles ont de l’ambition, elles veulent aussi réussir partout de façon plus nette ; et elles continuent de travailler avec trois enfants ou plus ».

10 mesures pour une plus grande mixité
Elle évoque la dernière étude de GEF, qui a fait évaluer 26 mesures auprès de 5 400 hommes et femmes. 10 de ces mesures sont jugées faciles à mettre en place et plutôt efficaces. Toutefois, une ou deux mesures seules ne changent rien : il faut initier un véritable changement culturel, et celui-ci nécessite l’implication du chef d’entreprise. C’est un facteur clef de succès.
Parmi les 10 mesures jugées efficaces :

Créer un vivier de talents féminins :
- Pour chaque poste ouvert en management et/ou plan de promotion, s’assurer de la présence de candidatures féminines et justifier s’il n’y en a pas,
- Détecter les femmes à haut potentiel pour créer un vivier représentatif de l’entreprise, notamment en supprimant les limites d’âge,

Soutenir leur développement :
- Mettre en place des formations spécifiques aux femmes pour leur permettre d’augmenter leur influence, visibilité et impact dans l’entreprise,
- Favoriser la création de réseaux féminins et mixtes au sein de l’entreprise ou administration pour partager et diffuser les pratiques favorisant la mixité en management,

Faire évoluer les critères d’évaluation et les règles de gestion des carrières :
- Faire évoluer les critères d’évaluation de la performance pour intégrer les compétences et qualités complémentaires féminines et masculines,
- Casser le cycle de carrière linéaire et faire évoluer les critères de la mobilité géographique en intégrant notamment la gestion des doubles carrières,

Faire évoluer les mentalités et la culture :
- Sensibiliser le management aux différences de comportement hommes / femmes et à l’intérêt pour l’entreprise d’une plus grande mixité,
- Développer toute pratique pour un meilleur équilibre vie professionnelle / vie personnelle (au-delà des crèches, remettre en cause la culture du présentéisme),

Piloter et assurer le suivi des actions mises en œuvre :
- Mettre en place des objectifs quantifiés à tous niveaux (recrutement, évolution salariale, accession à des postes de direction …),
- Intégrer ces critères dans l’évaluation des managers.

Clarisse, a initié les Petits Déjeuners de GEF, manifestations au cours desquelles de grands patrons viennent témoigner. Elle déclare : « Le sujet n’est pas traité de façon efficace mais quand certains patrons prennent les choses en main, cela bouge ». Elle partage l’opinion de ces grands patrons, qui mettent avant tout en exergue l’amélioration de l’efficacité des entreprises.
GEF remarque également que les patrons les plus ouverts au sujet de la mixité en entreprise sont les patrons les plus humbles, ceux qui se considèrent comme un chef d’orchestre plus qu’un omniscient, ceux qui privilégient l’efficacité collective à la performance individuelle, et qui au final ont « un discours moins guerrier que les autres » et utilisent peu le jargon militaire « aller à l’assaut », « les troupes », « attaquer » …
« Les fonctionnements verticaux, cloisonnés dans les entreprises et l’administration ne sont plus adaptés à notre monde moderne. Une plus grande contribution des femmes conduira nécessairement à des changements ». Et les hommes partagent cette vision : 80% d’entre eux pensent que la mixité est essentielle dans les organisations, « ne serait ce que pour varier les modes de management ».

Propos recueillis par Sylvie Bretones (ECM 96)

« C’est l’équilibre dans la diversité qui permet la performance de l’entreprise », témoignage de Benoît Potier, PDG du groupe Air Liquide

benoitpotier0048.jpgPourquoi avez vous engagé des actions en faveur de la mixité au sein de votre Groupe ? Qu'apporte la mixité ?
La diversité est par nature le modèle le plus universel. Air Liquide, leader mondial des gaz pour l’industrie, la santé et l’environnement, est présent dans 75 pays, sur une grande diversité de marchés, et est donc de fait confronté à la diversité. Quand nous parlons diversité, nous pensons mixité homme/femme, diversité des nationalités, des âges, des compétences professionnelles et des origines… Pour une entreprise comme la nôtre, cette diversité est nécessaire pour comprendre des marchés extrêmement différents. Nos molécules de base sont les mêmes depuis l’origine : la différenciation de notre offre et la conquête de nouveaux territoires passent par l’écoute des besoins de nos clients, l’innovation et l’adaptation de nos solutions. Par ailleurs, la mixité renforce les qualités d’organisation et de gestion de projets ainsi que le travail en équipe au sein de l’entreprise. C’est l’équilibre dans la diversité qui permet la performance de l’entreprise.

Quels conseils donneriez-vous à un(e) dirigeant(e) qui souhaite engager de telles démarches ?
L’attention prêtée à la diversité, et plus particulièrement à la mixité homme/femme, doit être, selon moi, portée au plus haut niveau de l’entreprise. Son intégration à la stratégie globale de la société permet d’agir sur la culture et sur les comportements de l’entreprise, ce qui est indispensable pour progresser fortement et durablement sur ce sujet.

Quelles sont les principales actions que vous avez mises en place ?
Nous avons mis en œuvre différentes initiatives. D’abord, au niveau du recrutement, puisque nous recrutons aujourd’hui environ 30% de femmes dans le monde parmi les ingénieurs et cadres. La France est un peu en avance avec environ 40% de recrutements féminins alors que, je voudrais le rappeler, les écoles d’ingénieurs ne comptent qu’environ 20% de femmes en France !
Ensuite, sur le plan du développement des carrières, nous suivons en permanence le nombre de femmes dans le vivier de « hauts potentiels » du groupe et avons pris une mesure très concrète : la limite d’âge des membres de ce vivier a été repoussée à 45 ans pour les femmes, afin de prendre en compte le fait qu’une femme peut avoir une carrière différente avant 40 ans, en particulier si elle a des enfants. Le comité exécutif s’assure de l’évolution et de la visibilité au sein du groupe des femmes « haut potentiel ». Ainsi, à chaque fois qu’un poste de management se libère, nous exigeons d’avoir au moins une candidate.
Enfin, des actions de sensibilisation et d’implication des managers pour renforcer la place des femmes et leurs responsabilités au sein de l’entreprise. Concrètement, nous avons mis en place un programme de sensibilisation et d’échanges sur les différences « hommes/femmes » et les bénéfices induits de la diversité, à destination de nos managers. 33 sessions ont été à ce jour organisées en France et au Japon, et plus de 700 managers y ont déjà participé. A cela s’ajoutent des mesures pragmatiques d’organisation du travail (horaires aménagés, télétravail…) dans les pays où cela est possible.

Quels sont les principaux résultats (quantitatifs ou qualitatifs) ? Avez-vous eu des résultats inattendus ?
Air Liquide compte au total 10 000 femmes dans le monde, dans les 75 pays où nous sommes présents. Je considère que la place des femmes dans l’entreprise est aujourd’hui un indicateur clef de progrès. C’est pourquoi j’ai choisi de le présenter lors de notre Assemblée Générale qui a réuni près de 5 500 personnes à Paris en mai dernier : le pourcentage de femmes dans l’encadrement est passé en 6 ans de 14% à 24%, soit une croissance de + 70%. Le pourcentage de femmes dans l’encadrement est aujourd’hui égal, à L’Air Liquide, à la proportion globale de femmes dans l’entreprise.
Au cours des deux dernières années, nous avons doublé le pourcentage de femmes parmi les 250 Top managers du Groupe. Onze postes de direction générale de filiales sont occupés par des femmes dans le groupe. La culture a ainsi progressé au sein de l’entreprise dans tous les pays.

Quels freins avez vous rencontrés dans la mise en oeuvre de ces actions ?
Le principal défi à relever est de réussir à développer une politique en faveur de la diversité, partout dans le monde et dans la durée. C’est aussi de faire évoluer les habitudes et les préjugés en veillant à introduire une certaine flexibilité dans l’organisation du travail. On ne peut pas tout changer du jour au lendemain. Cela passe par un engagement du management et des mesures concrètes. A titre d’exemple, nous avons dû adapter notre système de mobilité internationale pour intégrer la gestion des doubles carrières : quand nous proposons à une femme ou à un homme une opportunité de mobilité internationale, il faut prendre en compte la carrière du conjoint.

Quelles actions n'avez vous pas voulu ou pu mettre en place ? Pourquoi ?
Personnellement, je ne suis pas partisan des mesures instaurant des quotas. La démarche entreprise au sein d’Air Liquide me paraît plus adaptée puisqu’elle repose sur la constitution d’un vivier interne mixte et sur une gestion dynamique des carrières. Le quota – quand on l’impose – devient très vite artificiel et déresponsabilisant. On oublie ainsi de reconnaître la valeur de chacun. Pour un groupe comme le nôtre, je suis moins favorable aux quotas imposés qu’au progrès mesuré.

Notre revue est lue majoritairement par des hommes. Y a t il un message que vous souhaitez leur faire passer ?
Qu'ils ne soient pas inquiets ! Mixité signifie femmes et hommes, et il me semble qu’intégrer la diversité dans leur carrière les aidera eux aussi à acquérir des perspectives plus larges et à progresser dans un environnement de plus en plus complexe. Cela rendra leur entreprise plus performante et leur contribution plus valorisante.