20/08/2010

Actualité : Quotas dans les Conseils d’Administration : la mesure qui a éveillé les consciences

Brigitte Gresy est inspectrice générale des affaires sociales et auteur du rapport préparatoire à la concertation avec les partenaires sociaux sur l’égalité professionnelle.

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L'Assemblée Nationale a adopté en première lecture le 20 janvier 2010 une proposition de loi visant à favoriser la parité entre les femmes et les hommes dans les conseils d'administration des grandes entreprises publiques ou cotées.

Pourriez-vous nous présenter les grandes lignes de cette proposition de loi ?
Quarante propositions figuraient dans le rapport préparatoire remis au Ministre du Travail en juillet 2009. Parmi ces propositions, la mesure la plus médiatisée a été celle qui impose un seuil de 40% de femmes dans les conseils d’administration des entreprises publiques et des sociétés cotées, dans les 6 ans à venir (actuellement 10% environ). Le non respect de ces quotas entraînerait la nullité des délibérations prises par le Conseil d’Administration, selon la proposition parlementaire de JF. Copé. Le passage au Sénat de cette proposition de loi devrait se faire en octobre 2010.
Cette mesure est celle qui a éveillé les consciences et fait l’effet d’un électrochoc. Il faudra néanmoins également avancer sur les autres axes de travail, et pas seulement sur la gouvernance dans les Conseils d’Administration. J’en vois deux :
• le champ de la négociation collective en simplifiant le code du travail et en déterminant des leviers d’action avec des objectifs chiffrés de progression, dans des domaines comme l’embauche, l’accès à la formation, l’accès aux postes de direction, la prise en compte de la parentalité,
• la qualité des emplois à temps partiel des femmes.
Des actions de sensibilisation et de communication devront être prévues ainsi que des sanctions financières si les objectifs ne sont pas atteints. Il s’agit toujours de convaincre et de contraindre.

Bien qu’il existe déjà des lois dans le domaine de l’égalité professionnelle entre hommes et femmes, la situation n’est pas satisfaisante en matière d’égalité professionnelle en entreprise. Qu’en pensez-vous ?
Il convient tout d’abord de rappeler qu’il y a des avancées. Le travail des femmes constitue la grande révolution des 20ème et 21ème siècles. En France nous avons un très fort taux d’activité des femmes (80% des femmes de 25 à 49 ans travaillent) et également un fort taux de fécondité. Les femmes françaises veulent travailler et avoir des enfants. Nous avons la chance en France d’avoir les écoles maternelles publiques et gratuites dès 3 ans. Il faut accompagner en France ce désir d’enfant et de travail.
Mais ce diagnostic doit cependant être nuancé :
- l’augmentation du travail des femmes se fait principalement sur la base du temps partiel et en Equivalent Temps Plein le travail des femmes n’a pas évolué depuis les années 90,
- on remarque une bipolarisation croissante des emplois féminins entre emplois peu qualifiés (femmes de plus en plus aspirées vers la précarité) et emplois qualifiés,
- la parentalité reste bancale : 40% des femmes pour seulement 6% des hommes voient leur carrière profondément bouleversée par l’arrivée d'un enfant (modifié depuis : source Pailhé Solaz).

Et comment faire bouger le monde familial et professionnel ?
Dans le monde du travail, le sujet de l’égalité professionnelle n’est souvent pas pris en compte dans les entreprises. En 2008, seulement 7,5 % des entreprises ont signé un accord sur l’égalité comme le leur impose la loi. D’où mes propositions sur la revitalisation de la négociation collective. Mais, au-delà, il faut lutter contre le sexisme ordinaire car la tolérance sociale au sexisme ordinaire est plus importante que celle au racisme ou à l’homophobie. Les femmes doivent entrer en résistance et débusquer les stéréotypes dans le monde du travail. Pour avancer, il y a donc la loi et la lutte contre les stéréotypes.

Comment limiter la diffusion d’images stéréotypées dans les médias ?
Les stéréotypes sont véhiculés par les médias, l’école, la famille et le travail.
Dans les médias, non seulement les femmes sont en nombre inférieur à celui des hommes, mais elles apparaissent souvent dans le rôle de témoins ou de victimes et non comme actrices du monde. La commission sur l’image des femmes dans les médias, sous la présidence de Michèle Reiser et dont je suis rapporteure travaille actuellement sur une démarche d’autorégulation des médias.

Propos recueillis par Madeleine Prévost (ECM 81) et Isabelle Pinault (ECM 02)

Nous saluons l’initiative de Voxfemina, association créée en janvier 2010, pour augmenter la visibilité dans les médias des femmes en position de responsabilité dans les domaines du monde des affaires (sur 28 minutes d’interviews d’expert à la radio, 27 minutes de parole masculine pour seulement 1 minute de parole féminine). http://voxfemina.asso.fr/fr

Les aspects réglementaires et législatifs, ainsi que l'éducation des filles en quelques dates clefs

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Synoptique non exhaustif réalisé par Valérie Bourgeois (ECM 94), Annie Passeron (ECP 72), Madeleine Prévost (ECM 81)

Osez !

Dominique Méda est inspectrice générale des affaires sociales. Elle dirige des recherches en sociologie, notamment sur la conciliation de la vie professionnelle et la vie familiale et sur l’égalité hommes / femmes.

Comment percevez-vous l’évolution des femmes dans la société et dans l'entreprise en France au cours des dernières années ?
On peut défendre l’idée que la situation des femmes s’améliore un peu, du point de vue notamment de l’accès à l’emploi et notamment aux emplois de cadres et de professions intermédiaires. Les jeunes femmes sont également de plus en plus diplômées et le nombre de jeunes femmes non diplômées décroît fortement, contrairement à celui des jeunes garçons. Cette situation est très importante considérant les liens étroits qu’entretiennent diplôme et insertion professionnelle. Ce qui me semble très important est que les jeunes femmes accèdent désormais en plus grand nombre à des emplois qualifiés : 48% d’entre elles occupent en 2008 un emploi de cadre ou de profession intermédiaire contre 43% des garçons (en 1984 le rapport était de 30% pour les filles contre 33% pour les garçons – Source INSEE).
Malgré tout, les femmes accèdent toujours peu aux postes de responsabilité. Si elles constituaient 41,2 % des cadres administratifs et commerciaux en 2005, elles ne représentaient que 17,2% des dirigeants de sociétés et 7,5% des dirigeants du CAC 40.

Quelles sont selon vous les raisons de la faible représentativité des femmes dans les instances dirigeantes? Quelle est la responsabilité des entreprises? Comment y remédier ?
Les raisons sont de plusieurs ordres : la première est la puissance des normes en œuvre dans nos sociétés. Même si nous sommes sortis du modèle du « male breadwinner » et de la « female carer » (Monsieur Gagne Pain et Madame au foyer), des traces profondes de ce modèle subsistent encore. Les stéréotypes ont la vie dure et on considère toujours qu’il revient principalement à la femme de s’occuper des enfants. Par ailleurs, au moment de l’orientation scolaire, les garçons et les filles continuent de faire des choix radicalement différents qui conduisent les filles dans des filières finalement moins bien rémunérées. Au sein des entreprises elles-mêmes, une organisation du travail soit-disant neutre, mais qui est en réalité calée sur le modèle masculin de la totale disponibilité pour le travail, favorise les carrières masculines. Enfin, objectivement, même si une partie des femmes peuvent se faire aider dans la prise en charge des tâches domestiques et familiales, ces dernières reposent encore en majeure partie sur elles et peuvent les contraindre à réduire leur disponibilité au travail.
Une profonde réorganisation du travail au sein des entreprises permettant aux deux parents de mener vie professionnelle et vie familiale de façon plus souple est nécessaire ; et une implication beaucoup plus forte des hommes : s’ils s’investissaient plus concrètement et dans la même mesure que les femmes dans leurs responsabilités familiales, et acceptaient parfois de mettre leur carrière en veilleuse, les carrières des femmes s’en trouveraient certainement facilitées.

Quels intérêts pourraient avoir les hommes à aider les femmes à faire éclater le plafond de verre ? Leurs intérêts ne sont-ils pas de le laisser en place ?
Il me semble que dans cette affaire, tout le monde a à y gagner : un modèle qui repose sur deux apporteurs de revenus et deux apporteurs de soins serait non seulement plus égalitaire mais diminuerait aussi une frustration des femmes qui ira grandissante si les efforts en matière de formation ne sont pas récompensés. Il faudrait donc revoir radicalement l’organisation du travail pour qu’elle permette vraiment aux parents, quel que soit leur sexe, de combiner travail et vie familiale et les normes en vigueur selon lesquelles un homme qui réduit son temps de travail pour s’occuper de ses enfants est un déviant, alors que ce comportement est considéré pour normal pour les femmes. Cette question du temps consacré par les pères aux soins aux jeunes enfants est centrale pour au moins trois raisons : l’investissement des pères dans la vie familiale est nécessaire pour avancer dans l’égalité de genre et permettre aux femmes de ne pas être les seules à modifier leur activité à la naissance d’un enfant ; par ailleurs, permettre aux hommes d’exercer pleinement leur paternité peut aussi constituer un objectif tout à fait digne d’intérêt ; enfin, la question de la place que la société fait aux tâches de soins est essentielle. Souhaitons-nous une société où nous consacrerions tous l’essentiel de notre temps au travail ? Ou bien voulons nous aussi accorder une place de choix aux tâches de soins, en faisant en sorte que celles-ci soient assurées à la fois par des institutions publiques ou privées et par la famille équitablement entre les deux parents ?

Quels conseils donneriez-vous aux femmes cadres dans une entreprise pour faire éclater ce plafond de verre ?
Oser ! Se réunir en collectif, partager leurs expériences de manière à se rendre compte qu’il leur arrive à toutes la même chose et qu’elles se trouvent donc face à une réalité collective et non individuelle ; ne surtout pas penser que la situation vient d’elles-mêmes, mais du fait qu’elles sont femmes et donc qu’objectivement leurs conditions d’insertion sont plus difficiles. En résumé : désindividualiser les problèmes, comprendre leur caractère collectif et structurel, partager, rendre visible. Toute la question me semble-t-il est également aujourd’hui de savoir si les femmes doivent, pour accéder aux responsabilités et donc à la possibilité de changer les choses, se couler dans le moule masculin de rapport au travail et s’il n’y a pas, dans cette aventure, beaucoup de choses à perdre.

Propos recueillis par Isabelle Pinault (ECM 02) et Madeleine Prévost (ECM 81)