20/08/2010

Les femmes doivent avoir le courage de privilégier leur travail !

Eric Donfu est sociologue et écrivain. Il est président fondateur de Dialogues et Relations Sociales, un atelier d’étude sur les transformations de la société actuelle.

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Comment percevez-vous l’évolution des femmes dans la société et les entreprises en France au cours des dernières années ?
L’histoire des femmes dans l’entreprise s’inscrit dans le contexte global d’évolution de la société française. Cependant on constate qu’il y a eu un vrai rééquilibrage du rôle des femmes tant dans la société que dans les entreprises. Il reste tout de même des inégalités très fortes entre les hommes et les femmes dans l’entreprise, et d'abord cette inacceptable différence de revenus au même poste, même si, comme toujours, une partie de ces inégalités viennent des freins que les femmes s’imposent à elles mêmes. Parmi les difficultés que je perçois voici celles qui me semblent dominantes :
1- La première est que l’entreprise s’est construite et reste trop souvent pensée avec des schémas masculins. Des schémas où dominent une culture du discours et du conflit, une vision clanique, des attitudes guerrières. Les femmes ont en général une approche beaucoup plus transversale, qui privilégie le consensus, qui intègre les détails comme les grandes choses, et se met moins en avant.
2- Les femmes continuent de devoir gérer famille et carrière. Cette conciliation famille/carrière est un vrai frein dans une entreprise qui considère que ses cadres sont disponibles « Anytime, Anywhere » et cela conduit toujours de nombreuses cadres à sacrifier leur vie personnelle.
3- Plusieurs études montrent que le virage autour de la trentaine est vécu différemment par les hommes et les femmes. Pour les femmes ce tournant est un moment clef qui correspond par ailleurs à l'âge où elles deviennent mère, selon les statistiques. Un âge pas toujours facile à gérer dans un monde de l’entreprise où domine une vision masculine. Les courbes montrent que les femmes ont la même progression de carrière que les hommes jusqu’à ce tournant. Ensuite les courbes se séparent.
Aujourd’hui, nous sommes vraiment à la croisée des chemins. Les femmes vont entrer par la loi récente dans les conseils d'administration des entreprises du CAC 40... Soit 160 nouvelles femmes à faire siéger ! En France, il existe aujourd'hui environ 200 femmes de 60 ans qui sont diplômées d’une école d’ingénieurs en comparaison à 4 000 femmes ingénieurs de 30 ans. Ce succès s’explique en partie par la capacité des femmes à réussir à l’école, de plus en plus souvent mieux que les garçons. Pourtant cette évolution n’est pas définitive. En effet, notre société vit depuis quelques années un retour à des valeurs plus traditionnelles chez les trentenaires et les quadragénaires. Les valeurs ambiantes de la société valorisent énormément l’hyper maternité : enfant à tout prix, allaitement, congés parentaux pour l’éducation des enfants, l’importance du repas familial, etc.. La pression sociale de ces valeurs ainsi que la mauvaise répartition des tâches familiales, entre hommes et femmes au quotidien, pourrait, demain, tempérer la courbe croissante de la présence des femmes dans l’entreprise. Alors même que les études montrent que la présence des femmes en entreprise améliore leur performance.

Quelles sont selon vous les raisons de la faible représentativité des femmes dans les conseils d’administration ? Quelles sont selon vous les raisons du plafond de verre ?
Tout d’abord il y a les freins mis par les entreprises elles mêmes dont les responsables hommes pensent que les femmes à un moment donné vont privilégier leur vie familiale à leur carrière. Ces entreprises hésitent donc à investir sur des femmes à haut potentiel. A contrario, les femmes sont différentes des hommes et ont plus de mal à percevoir les jeux politiques que les hommes, surtout dans des structures pensées par des hommes avec une culture et des valeurs masculines.
En ce qui concerne le fameux plafond de verre, en dehors des difficultés déjà évoquées, je crois qu’il y a aussi le phénomène de la paroi de verre, qui limite les femmes à certaines tâches. Et puis, il peut aussi y avoir une certaine autocensure des femmes, négligée et pourtant bien présente. En effet, l’univers qui est proposé aux femmes dans certaines entreprises n’est finalement pas toujours très intéressant à leurs yeux et elles finissent par privilégier un univers plus personnel. De plus le regard des hommes sur les femmes n’encourage pas les femmes à faire preuve d’ambition pour leurs carrières.
Il y a aussi une responsabilité des entreprises qui n’envisagent pas d’avoir des temps d’investissement des collaborateurs qui soient adaptés à la vie des employés. Elles pourraient offrir des parcours plus souples qui verraient des investissements différents des employés selon les moments de leurs vies. Les conciergeries et les crèches d'entreprises sont de bons exemples, limités, il est vrai aux grandes entreprises.

Avez-vous un message à faire passer à notre lectorat ? Un pour les femmes et un pour les hommes ?
Les jeunes diplômés hommes ou femmes, des Ecoles Centrales, doivent réaliser qu’ils et elles sont des éclaireurs et des éclaireuses pour le monde économique de demain. L’Europe malgré ses défauts reste un îlot de réussite pour les femmes. Les jeunes Centraliennes, comme les jeunes Centraliens, doivent donc inventer un nouveau modèle où elles et ils trouveront leur place et où elles sauront capitaliser sur les conquêtes de leurs ainées. Ces conquêtes n’ont qu’une ou deux générations d’existence et sont donc fragiles, elles ont besoin de relève ! L’autre conseil que je voudrais leur donner c’est de ne pas hésiter à mettre en avant leur carrière professionnelle en conciliant leur vie personnelle. Il faut inverser les facteurs. Leur carrière ne peut pas s’arrêter à la sortie de l’école.
Quant aux jeunes Centraliens, je tiens à leur dire que leur capacité à mieux apprécier les femmes qui travaillent et s’investissent dans leur carrière est un atout pour leur propre carrière. Et, pour être exemplaires, qu’eux-mêmes doivent s’investir plus dans la vie familiale.
A tous je veux dire que faire partie de l’élite c’est être en avance sur son temps. La parité n’est qu’un premier pas. En réalité il y a un nouveau monde à construire sur des valeurs de vraies performances, passant du quantitatif au qualitatif, par la valorisation du service au client, par des réponses à de nouveaux besoins, imprégnés de valeurs féminines. Considérons aussi le potentiel des femmes sur les créneaux de résultats des hommes eux-mêmes. Dans ce contexte, une nouvelle définition des critères de performance sera nécessaire comme, bien sûr, l'invention des façons de mieux rémunérer cette performance.

Propos recueillis par Isabelle Pinault (ECM 02) et Eric Vandewalle (ECM 96)

19/08/2010

Grandes Ecoles au Féminin : les 10 mesures pour une plus grande mixité

Clarisse Reille (ECP 81), ENA, Médiateur délégué à l’Industrie, Présidente de Grandes Ecoles au Féminin

ClarisseReilleWEF02.jpgGEF est une Association d’Associations qui regroupe les femmes diplômées de neuf grandes écoles : Centrale Paris, ENA, ESCP, ESSEC, HEC, INSEAD, Mines de Paris, Ponts, X.
Au total, GEF représente 32 000 diplômées et un flux de 1 200 nouvelles diplômées chaque année pour un total de 3 600 femmes.
L’Association, créée en 2002, a pour objectif :
- de constituer un observatoire des femmes diplômées,
- de développer la prise de conscience des dirigeants sur l’intérêt de la mixité en entreprise,
- de développer des initiatives au sein des réseaux membres.
Retrouvez GEF sur http://www.grandesecolesaufeminin.net/


GEF exerce une grande vigilance afin que ce sujet ne soit pas traité comme « un gadget médiatique ».
Clarisse remarque que l’accès des femmes à des postes à responsabilité n’a pas évolué depuis que GEF existe. Clarisse parle de « cape d’invisibilité », notamment due à des phénomènes culturels et à des fonctionnements en réseaux très étroits : le corps des X Mines au sein des X, celui des inspecteurs des Finances au sein de l’ENA, où la proportion de femmes est encore plus faible que celle de leurs écoles d’origine ! Car les études lancées par GEF et réalisées par IPSOS soulignent qu’hommes et femmes issus des Grandes Ecoles ont les mêmes attentes quant à leur carrière : « les femmes qui ont fait ces écoles veulent faire carrière, elles ont de l’ambition, elles veulent aussi réussir partout de façon plus nette ; et elles continuent de travailler avec trois enfants ou plus ».

10 mesures pour une plus grande mixité
Elle évoque la dernière étude de GEF, qui a fait évaluer 26 mesures auprès de 5 400 hommes et femmes. 10 de ces mesures sont jugées faciles à mettre en place et plutôt efficaces. Toutefois, une ou deux mesures seules ne changent rien : il faut initier un véritable changement culturel, et celui-ci nécessite l’implication du chef d’entreprise. C’est un facteur clef de succès.
Parmi les 10 mesures jugées efficaces :

Créer un vivier de talents féminins :
- Pour chaque poste ouvert en management et/ou plan de promotion, s’assurer de la présence de candidatures féminines et justifier s’il n’y en a pas,
- Détecter les femmes à haut potentiel pour créer un vivier représentatif de l’entreprise, notamment en supprimant les limites d’âge,

Soutenir leur développement :
- Mettre en place des formations spécifiques aux femmes pour leur permettre d’augmenter leur influence, visibilité et impact dans l’entreprise,
- Favoriser la création de réseaux féminins et mixtes au sein de l’entreprise ou administration pour partager et diffuser les pratiques favorisant la mixité en management,

Faire évoluer les critères d’évaluation et les règles de gestion des carrières :
- Faire évoluer les critères d’évaluation de la performance pour intégrer les compétences et qualités complémentaires féminines et masculines,
- Casser le cycle de carrière linéaire et faire évoluer les critères de la mobilité géographique en intégrant notamment la gestion des doubles carrières,

Faire évoluer les mentalités et la culture :
- Sensibiliser le management aux différences de comportement hommes / femmes et à l’intérêt pour l’entreprise d’une plus grande mixité,
- Développer toute pratique pour un meilleur équilibre vie professionnelle / vie personnelle (au-delà des crèches, remettre en cause la culture du présentéisme),

Piloter et assurer le suivi des actions mises en œuvre :
- Mettre en place des objectifs quantifiés à tous niveaux (recrutement, évolution salariale, accession à des postes de direction …),
- Intégrer ces critères dans l’évaluation des managers.

Clarisse, a initié les Petits Déjeuners de GEF, manifestations au cours desquelles de grands patrons viennent témoigner. Elle déclare : « Le sujet n’est pas traité de façon efficace mais quand certains patrons prennent les choses en main, cela bouge ». Elle partage l’opinion de ces grands patrons, qui mettent avant tout en exergue l’amélioration de l’efficacité des entreprises.
GEF remarque également que les patrons les plus ouverts au sujet de la mixité en entreprise sont les patrons les plus humbles, ceux qui se considèrent comme un chef d’orchestre plus qu’un omniscient, ceux qui privilégient l’efficacité collective à la performance individuelle, et qui au final ont « un discours moins guerrier que les autres » et utilisent peu le jargon militaire « aller à l’assaut », « les troupes », « attaquer » …
« Les fonctionnements verticaux, cloisonnés dans les entreprises et l’administration ne sont plus adaptés à notre monde moderne. Une plus grande contribution des femmes conduira nécessairement à des changements ». Et les hommes partagent cette vision : 80% d’entre eux pensent que la mixité est essentielle dans les organisations, « ne serait ce que pour varier les modes de management ».

Propos recueillis par Sylvie Bretones (ECM 96)