19/08/2010

L'avis des dirigeants des Ecoles Centrale

Hervé Biausser, directeur de Centrale Paris (ECP 73)
Patrick Chedmail, directeur de Centrale Nantes (ECP 73)
Etienne Craye, directeur de Centrale Lille (ECLi 84)
Carole Deumie, directrice des études de Centrale Marseille (ECM 93)
Marie Annick Galland, directrice des études de Centrale Lyon (ECL 84)


Le taux de filles des cinq Ecoles Centrales, généralistes, est plutôt élevé, entre 20% et 30% en fonction des écoles. Ce taux est plutôt stable à Paris, progresse de façon régulière à Lyon et Nantes, plus lentement à Lille ; il est plafonné par celui des classes prépa.
Aussi, les écoles ne mènent pas d’actions pour plus recruter de jeunes filles, mais plutôt pour faire connaître le métier d’ingénieur. P. Chedmail : « Il faut travailler sur l’ambition dès les petites classes, auprès des instituteurs, plus tard auprès des conseillers d’orientation ». MA. Galland : « c’est avant tout un problème de société ». C. Deumie : « Il faut revaloriser le métier d’ingénieur auprès des filles, montrer son côté sociétal. Les jeunes filles ne voient pas le côté social, l’utilité pour la société du métier d’ingénieur ; la technique c’est froid ! ». Etienne Craye : « Nous allons dans les lycées, en accord avec les rectorats, ce n’est pas une action spécifique de Centrale Lille, mais collective, en partenariat avec l’Uris et la Confédération Régionale des Grandes Ecoles ». H. Biausser : « Les jeunes filles manquent de confiance en elles et pensent qu’il faut sur-exceller pour entrer dans les filières scientifiques ; bien souvent elles ne réalisent pas que cette filière assure de trouver un emploi, et c’est un argument auquel elles sont pourtant sensibles. Par ailleurs, la prépa doit certainement évoluer sur les programmes, sans concession sur l‘excellence scientifique, la CGE est interrogée sur la diversité, elle le sera également sur la parité ».

En corollaire, au sein des Ecoles Centrales, les options dans lesquelles on trouve proportionnellement plus de filles sont les suivantes : la chimie, la santé, l’environnement, les nanotechnologies, le génie des procédés, l’énergie du vivant. Centrale Lyon a monté en partenariat avec l’Université de Lyon une option « Ingénierie et Médicaments » : 100% des élèves de la filière sont des femmes (sic). L’option BTP attire aussi proportionnellement plus d’étudiantes. P. Chedmail : « Est-ce le côté challenge ? », MA. Galland : « ou les aspects concret et bâtisseur » ; H. Biausser y voit une combinaison de « contact humain, projet concret et international ».

Les directeurs et directrices interrogés ne dénotent pas d’aspirations différentes entre filles et garçons. A Centrale Lyon, en première année, les élèves font une enquête découverte auprès de professionnels. MA. Galland note que « les jeunes filles se préoccupent beaucoup de la conciliation vie professionnelle / vie privée, ce qui n’est pas le cas des garçons ». Les Ecoles n’ont pas de chiffre précis, et pourtant, l’écart de salaire lors de la première embauche reste une réalité !

Enfin, à la question « Quel conseil donneriez-vous à vos étudiantes ? Serait-ce le même que celui donné à vos étudiants ? », E. Craye et H. Biausser donnent les mêmes conseils, « avec peut être un point de vigilance sur le recrutement (notamment sur la question des enfants) » pour E. Craye. H. Biausser complète : « je donne les mêmes conseils, si toutefois j’avais un conseil particulier à donner aux étudiantes, je leur dirai d’être attentive à leur carrière, d’être en réseau ». Les directrices adressent en particulier les messages suivants : C. Deumie : « Accepter vos différences et croyez en vos capacités », « ne sacrifiez pas une vie par rapport à l’autre ». MA Galland : « sachez mettre des priorités, rien n’est figé ; soyez adaptables ».

Propos recueillis par Sylvie Bretones (ECM 96)

Témoignage de Patricia Verrière Cuénot

Patricia Verriere-Cuenot, Directeur Associé Supply Chain Transformation (ECLi 87)

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Que pensez-vous de la proposition de loi sur la parité dans les instances dirigeantes des entreprises adoptée par l’Assemblée Nationale le 20 janvier ?
Il me semble qu’imposer la parité est une prise de position dangereuse. Bien évidemment, je regrette que le niveau de représentation féminine soit faible dans les instances dirigeantes, que ce soit dans le milieu de l’entreprise ou dans le milieu politique (parlement). Pourtant, si nous imposons la parité, la présence des femmes risque d’être perçue comme une obligation et les femmes être considérées comme des participantes de seconde catégorie, non reconnues pour leurs compétences mais imposées par leur seule qualité de femme. Il me semble qu’il faudrait réussir à dépasser ce stade et trouver d’autres moyens pour parvenir à cet équilibre.

Avez vous contribué à l’amélioration de l’équité au sein des équipes, de l’encadrement ?
J’essaie, bien entendu, de veiller à l’équité au sein de mes équipes. Cette équité à laquelle je suis attachée se fonde logiquement sur des critères de qualités personnelles et de compétences. La recherche de la complémentarité des membres de mes équipes conduit naturellement à un équilibre hommes-femmes.

Comment conciliez-vous votre vie professionnelle avec votre vie de famille ?
Nous avons aujourd’hui la chance de vivre dans une société, et à une époque où le modèle stéréotypé de la femme est moins pesant. Une grande diversité de choix de vie est désormais acceptée. Une femme peut décider d’être mère au foyer, ou de se consacrer à plein-temps à sa vie professionnelle, avec toutes les nuances intermédiaires possibles. Tout est théoriquement possible, même si les pressions sociales et la faiblesse des moyens mis à disposition des couples restent des obstacles récurrents. Il reste beaucoup à faire pour faciliter la vie des mères, et des couples, qui décident de s’investir professionnellement.

Quels freins, intrinsèques ou extrinsèques avez-vous connus ?
J’ai rarement rencontré de freins explicites dans ma carrière. Capgemini Consulting recrute autant d’hommes que de femmes et l’évolution interne est décidée au cours de comités d’évaluation, fondés sur des éléments factuels de performance, gommant autant que possible les différenciations homme - femme.

Un conseil à donner aux Centraliennes ?
Il m’est arrivé d’être confrontée à des personnes étonnées de voir une femme dans cette fonction et s’interrogeant sur ma capacité à l’exercer. Je n’ai jamais cherché à jouer la carte de la séduction féminine, ni à ressembler ou à me comporter comme mes collègues masculins. La seule bonne réponse que j’ai trouvée, à ce stade, est de me concentrer sur ce que j’ai à faire et de le faire aussi bien que possible. Cherchez surtout à être vous-mêmes et avant tout à être de bonnes professionnelles, c’est à mon avis ainsi que chacune peut exprimer ce qu’elle a de meilleur et le vivre bien.

Grandes Ecoles au Féminin : les 10 mesures pour une plus grande mixité

Clarisse Reille (ECP 81), ENA, Médiateur délégué à l’Industrie, Présidente de Grandes Ecoles au Féminin

ClarisseReilleWEF02.jpgGEF est une Association d’Associations qui regroupe les femmes diplômées de neuf grandes écoles : Centrale Paris, ENA, ESCP, ESSEC, HEC, INSEAD, Mines de Paris, Ponts, X.
Au total, GEF représente 32 000 diplômées et un flux de 1 200 nouvelles diplômées chaque année pour un total de 3 600 femmes.
L’Association, créée en 2002, a pour objectif :
- de constituer un observatoire des femmes diplômées,
- de développer la prise de conscience des dirigeants sur l’intérêt de la mixité en entreprise,
- de développer des initiatives au sein des réseaux membres.
Retrouvez GEF sur http://www.grandesecolesaufeminin.net/


GEF exerce une grande vigilance afin que ce sujet ne soit pas traité comme « un gadget médiatique ».
Clarisse remarque que l’accès des femmes à des postes à responsabilité n’a pas évolué depuis que GEF existe. Clarisse parle de « cape d’invisibilité », notamment due à des phénomènes culturels et à des fonctionnements en réseaux très étroits : le corps des X Mines au sein des X, celui des inspecteurs des Finances au sein de l’ENA, où la proportion de femmes est encore plus faible que celle de leurs écoles d’origine ! Car les études lancées par GEF et réalisées par IPSOS soulignent qu’hommes et femmes issus des Grandes Ecoles ont les mêmes attentes quant à leur carrière : « les femmes qui ont fait ces écoles veulent faire carrière, elles ont de l’ambition, elles veulent aussi réussir partout de façon plus nette ; et elles continuent de travailler avec trois enfants ou plus ».

10 mesures pour une plus grande mixité
Elle évoque la dernière étude de GEF, qui a fait évaluer 26 mesures auprès de 5 400 hommes et femmes. 10 de ces mesures sont jugées faciles à mettre en place et plutôt efficaces. Toutefois, une ou deux mesures seules ne changent rien : il faut initier un véritable changement culturel, et celui-ci nécessite l’implication du chef d’entreprise. C’est un facteur clef de succès.
Parmi les 10 mesures jugées efficaces :

Créer un vivier de talents féminins :
- Pour chaque poste ouvert en management et/ou plan de promotion, s’assurer de la présence de candidatures féminines et justifier s’il n’y en a pas,
- Détecter les femmes à haut potentiel pour créer un vivier représentatif de l’entreprise, notamment en supprimant les limites d’âge,

Soutenir leur développement :
- Mettre en place des formations spécifiques aux femmes pour leur permettre d’augmenter leur influence, visibilité et impact dans l’entreprise,
- Favoriser la création de réseaux féminins et mixtes au sein de l’entreprise ou administration pour partager et diffuser les pratiques favorisant la mixité en management,

Faire évoluer les critères d’évaluation et les règles de gestion des carrières :
- Faire évoluer les critères d’évaluation de la performance pour intégrer les compétences et qualités complémentaires féminines et masculines,
- Casser le cycle de carrière linéaire et faire évoluer les critères de la mobilité géographique en intégrant notamment la gestion des doubles carrières,

Faire évoluer les mentalités et la culture :
- Sensibiliser le management aux différences de comportement hommes / femmes et à l’intérêt pour l’entreprise d’une plus grande mixité,
- Développer toute pratique pour un meilleur équilibre vie professionnelle / vie personnelle (au-delà des crèches, remettre en cause la culture du présentéisme),

Piloter et assurer le suivi des actions mises en œuvre :
- Mettre en place des objectifs quantifiés à tous niveaux (recrutement, évolution salariale, accession à des postes de direction …),
- Intégrer ces critères dans l’évaluation des managers.

Clarisse, a initié les Petits Déjeuners de GEF, manifestations au cours desquelles de grands patrons viennent témoigner. Elle déclare : « Le sujet n’est pas traité de façon efficace mais quand certains patrons prennent les choses en main, cela bouge ». Elle partage l’opinion de ces grands patrons, qui mettent avant tout en exergue l’amélioration de l’efficacité des entreprises.
GEF remarque également que les patrons les plus ouverts au sujet de la mixité en entreprise sont les patrons les plus humbles, ceux qui se considèrent comme un chef d’orchestre plus qu’un omniscient, ceux qui privilégient l’efficacité collective à la performance individuelle, et qui au final ont « un discours moins guerrier que les autres » et utilisent peu le jargon militaire « aller à l’assaut », « les troupes », « attaquer » …
« Les fonctionnements verticaux, cloisonnés dans les entreprises et l’administration ne sont plus adaptés à notre monde moderne. Une plus grande contribution des femmes conduira nécessairement à des changements ». Et les hommes partagent cette vision : 80% d’entre eux pensent que la mixité est essentielle dans les organisations, « ne serait ce que pour varier les modes de management ».

Propos recueillis par Sylvie Bretones (ECM 96)