19/08/2010

« C’est l’équilibre dans la diversité qui permet la performance de l’entreprise », témoignage de Benoît Potier, PDG du groupe Air Liquide

benoitpotier0048.jpgPourquoi avez vous engagé des actions en faveur de la mixité au sein de votre Groupe ? Qu'apporte la mixité ?
La diversité est par nature le modèle le plus universel. Air Liquide, leader mondial des gaz pour l’industrie, la santé et l’environnement, est présent dans 75 pays, sur une grande diversité de marchés, et est donc de fait confronté à la diversité. Quand nous parlons diversité, nous pensons mixité homme/femme, diversité des nationalités, des âges, des compétences professionnelles et des origines… Pour une entreprise comme la nôtre, cette diversité est nécessaire pour comprendre des marchés extrêmement différents. Nos molécules de base sont les mêmes depuis l’origine : la différenciation de notre offre et la conquête de nouveaux territoires passent par l’écoute des besoins de nos clients, l’innovation et l’adaptation de nos solutions. Par ailleurs, la mixité renforce les qualités d’organisation et de gestion de projets ainsi que le travail en équipe au sein de l’entreprise. C’est l’équilibre dans la diversité qui permet la performance de l’entreprise.

Quels conseils donneriez-vous à un(e) dirigeant(e) qui souhaite engager de telles démarches ?
L’attention prêtée à la diversité, et plus particulièrement à la mixité homme/femme, doit être, selon moi, portée au plus haut niveau de l’entreprise. Son intégration à la stratégie globale de la société permet d’agir sur la culture et sur les comportements de l’entreprise, ce qui est indispensable pour progresser fortement et durablement sur ce sujet.

Quelles sont les principales actions que vous avez mises en place ?
Nous avons mis en œuvre différentes initiatives. D’abord, au niveau du recrutement, puisque nous recrutons aujourd’hui environ 30% de femmes dans le monde parmi les ingénieurs et cadres. La France est un peu en avance avec environ 40% de recrutements féminins alors que, je voudrais le rappeler, les écoles d’ingénieurs ne comptent qu’environ 20% de femmes en France !
Ensuite, sur le plan du développement des carrières, nous suivons en permanence le nombre de femmes dans le vivier de « hauts potentiels » du groupe et avons pris une mesure très concrète : la limite d’âge des membres de ce vivier a été repoussée à 45 ans pour les femmes, afin de prendre en compte le fait qu’une femme peut avoir une carrière différente avant 40 ans, en particulier si elle a des enfants. Le comité exécutif s’assure de l’évolution et de la visibilité au sein du groupe des femmes « haut potentiel ». Ainsi, à chaque fois qu’un poste de management se libère, nous exigeons d’avoir au moins une candidate.
Enfin, des actions de sensibilisation et d’implication des managers pour renforcer la place des femmes et leurs responsabilités au sein de l’entreprise. Concrètement, nous avons mis en place un programme de sensibilisation et d’échanges sur les différences « hommes/femmes » et les bénéfices induits de la diversité, à destination de nos managers. 33 sessions ont été à ce jour organisées en France et au Japon, et plus de 700 managers y ont déjà participé. A cela s’ajoutent des mesures pragmatiques d’organisation du travail (horaires aménagés, télétravail…) dans les pays où cela est possible.

Quels sont les principaux résultats (quantitatifs ou qualitatifs) ? Avez-vous eu des résultats inattendus ?
Air Liquide compte au total 10 000 femmes dans le monde, dans les 75 pays où nous sommes présents. Je considère que la place des femmes dans l’entreprise est aujourd’hui un indicateur clef de progrès. C’est pourquoi j’ai choisi de le présenter lors de notre Assemblée Générale qui a réuni près de 5 500 personnes à Paris en mai dernier : le pourcentage de femmes dans l’encadrement est passé en 6 ans de 14% à 24%, soit une croissance de + 70%. Le pourcentage de femmes dans l’encadrement est aujourd’hui égal, à L’Air Liquide, à la proportion globale de femmes dans l’entreprise.
Au cours des deux dernières années, nous avons doublé le pourcentage de femmes parmi les 250 Top managers du Groupe. Onze postes de direction générale de filiales sont occupés par des femmes dans le groupe. La culture a ainsi progressé au sein de l’entreprise dans tous les pays.

Quels freins avez vous rencontrés dans la mise en oeuvre de ces actions ?
Le principal défi à relever est de réussir à développer une politique en faveur de la diversité, partout dans le monde et dans la durée. C’est aussi de faire évoluer les habitudes et les préjugés en veillant à introduire une certaine flexibilité dans l’organisation du travail. On ne peut pas tout changer du jour au lendemain. Cela passe par un engagement du management et des mesures concrètes. A titre d’exemple, nous avons dû adapter notre système de mobilité internationale pour intégrer la gestion des doubles carrières : quand nous proposons à une femme ou à un homme une opportunité de mobilité internationale, il faut prendre en compte la carrière du conjoint.

Quelles actions n'avez vous pas voulu ou pu mettre en place ? Pourquoi ?
Personnellement, je ne suis pas partisan des mesures instaurant des quotas. La démarche entreprise au sein d’Air Liquide me paraît plus adaptée puisqu’elle repose sur la constitution d’un vivier interne mixte et sur une gestion dynamique des carrières. Le quota – quand on l’impose – devient très vite artificiel et déresponsabilisant. On oublie ainsi de reconnaître la valeur de chacun. Pour un groupe comme le nôtre, je suis moins favorable aux quotas imposés qu’au progrès mesuré.

Notre revue est lue majoritairement par des hommes. Y a t il un message que vous souhaitez leur faire passer ?
Qu'ils ne soient pas inquiets ! Mixité signifie femmes et hommes, et il me semble qu’intégrer la diversité dans leur carrière les aidera eux aussi à acquérir des perspectives plus larges et à progresser dans un environnement de plus en plus complexe. Cela rendra leur entreprise plus performante et leur contribution plus valorisante.

Les nouvelles technologies peuvent elles changer la donne ?

Ségolène Hémar (ECN 03), Mastère HEC, Microsoft, en charge des opérations de la division Plateforme et Ecosystème qui promeut en avance de phase la mise en place et les usages des dernières technologies.

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David Bourgeois (ECM 96), directeur commercial de blogSpirit.


Le 15 avril, les aéroports du Nord de l’Europe ferment. Des milliers de cadres sont bloqués partout dans le monde mais chez Microsoft France comme témoigne Ségolène Hémar les réunions continuent : conf call et webmeeting s’organisent depuis les chambres d’hôtel ou les salles d’attente des aéroports.
Une exception toutefois…Alors que 72% des actifs utilisent un ordinateur pour leur loisir, seulement 46% l’utilisent pour leur travail (source IFOP 2009). Aujourd’hui pourtant l'usage de la maison influe de plus en plus le monde du travail : ainsi la messagerie instantanée est entrée dans l'entreprise par les consommateurs et les besoins des entreprises l’a fait évolué. Selon Ségolène Hémar, « il n’y a pas de différence d'usage des nouvelles technologies entre les hommes et les femmes chez les collaborateurs de Microsoft ». Les outils, facilitant le travail à distance, améliorent la qualité du travail et réduisent le stress (horaires, transports). Ils peuvent favoriser le télétravail pour les femmes avec enfants. De plus en plus de collaboratrices de Microsoft ne viennent plus au bureau tous les jours et travaillent à distance y compris en réunion. Selon elles, cette nouvelle façon de gérer leur temps est bénéfique pour la qualité de leur travail car elles arrivent à s'isoler chez elles, ce qui n'est pas le cas sur les open-spaces ; et les jours où elles sont là, moins soumises au stress des horaires, elles sont plus détendues, plus disponibles pour des échanges. Il faut souligner toutefois que Microsoft est une entreprise connue pour sa dynamique particulière vis-à-vis de ses collaborateurs, classée en 2010 en pôle position dans les entreprises de plus de 500 salariés où les meilleures initiatives en faveur des salariés ont été observées (enquête Great Place to Work et Le Figaro économie). Difficile pourtant de généraliser... d'autant que pour les hommes, chez Microsoft aussi, le recours au télétravail est moins systématique, plus ponctuel. Ces nouvelles technologies challengent l’organisation de l’entreprise. Si les gens sont absents, ils peuvent ne jamais se croiser. Le véritable enjeu pour le management est d'offrir cette souplesse aux salariés tout en maintenant l'esprit d'équipe et la qualité des échanges. L'entreprise doit garder une unité de lieu. De fait, en juillet 2009, Microsoft a regroupé ses sites parisiens sur un seul encourageant ainsi le contact physique.

Selon David Bourgeois, directeur Commercial de blogSpirit, si téléphone et email sont acquis, la mise en place d’outils participatifs tels que Wikis, blogs, réseaux sociaux est plutôt lente. Les solutions de type réseaux sociaux favorisent le partage de bonnes pratiques et la co-innovation en demandant à des acteurs très différents dans l’entreprise d’imaginer une solution pour aboutir à de nouveaux services ou produits. Malgré les bénéfices observés, ces démarches ont encore du mal à se généraliser. D'une part ces lieux d’expression ouverts font peur aux entreprises. « La démocratie n’est pas la règle en entreprise, donner la parole reste perçu comme risqué par certains managers ». La notion de risques est très importante avant de passer à l’acte : perte de pouvoir (la hiérarchie n’est plus la seule à détenir l’information), crainte que les collaborateurs soient distraits (usage personnel des outils de l’entreprise) et soucis de sécurité (données non contrôlées).
David Bourgeois explique qu’avec le développement du mode collaboratif, le nouveau chef n’est plus celui qui détient l’information mais celui qui la gère le mieux. Le manager devient un « animateur de communautés » composées de collaborateurs qui ne sont pas toujours dans ses équipes directes. Les nouvelles qualités des managers deviennent l’écoute pour aller chercher l’information, l’animation en acceptant les idées des autres, en les exploitant et les transformant (grâce aux discussions autour des idées).

Et les femmes ? Il s’agit en effet de qualités réputées plus féminines mais comme le dit David « les hommes ne vont pas tout lâcher même si le virtuel permet de participer à un projet en apportant ses contributions le soir depuis chez soi. Il n’est plus indispensable d’être à la réunion de 19h pour montrer son implication » (ndr : à démontrer …).
Flexibilité, conciliation vie personnelle/vie professionnelle, moins de stress et de contraintes mais donc pas de vrai déclencheur de changement en terme de pratique du leadership à attendre de ces nouveaux outils.
Les nouvelles technologies sont-elles de plus vraiment bénéfiques ? Il est courant de parler aujourd’hui de « technostress ». David Bourgeois se défend de cette dérive des nouvelles technologies : «Je dois apprendre à gérer ma vie numérique qui en effet implique interpénétration des sphères privée et personnelle sur le web. A moi de m’organiser pour être serein : à 14h à mon bureau sur Facebook, à 23h sur le hub de mon projet en cours ». Plus prosaïquement, Ségolène Hémar nous explique que c’est à chacun de mettre rapidement les limites vis à vis de son manager. Cela est facilité chez Microsoft car les règles d'usages sont formalisées (créneaux utilisés pour fixer les confcall, limitation des envois de mails aux heures travaillées). La communication interne adresse régulièrement des mails sur ce sujet aux managers qui, bien sûr, adaptent ce cadre aux besoins.

Propos recueillis par Valérie Bourgeois (ECM 94) et Anne Brisce Grasset (ECLi 95)

Seconde table ronde : Les Centraliennes à l'étranger

Pour élargir le débat à la situation dans d’autres pays, nous avons souhaité interroger des Centraliennes françaises travaillant à l’étranger.
Au travers de l’exemple de huit Centraliennes qui ont témoigné de leur expatriation, nous vous proposons de regarder la situation dans certains pays voisins ou lointains de la France :


La Norvège
En Norvège les femmes rencontrent beaucoup moins d’obstacles dans leurs carrières qu’en France. Elles sont encouragées par les entreprises à prendre des responsabilités. Ainsi Mélanie Devergez (ECN 06) après avoir suivi un Master à Trondheim et appris le norvégien a tout de suite trouvé du travail dans le secteur maritime en 2008. Une année qui a vu un marché de l’emploi en plein essor. Aujourd’hui Mélanie est chef de projet chez DNV Det Norske Veritas, une société de classification à Oslo. Depuis 4 ans DNV a mis en place un programme international de ‘’mentoring’’ pour les femmes, afin de les soutenir et les former pour les postes de chef de service. Il est à noter que les horaires norvégiens de travail vont de 8h à 16h, ce qui laisse la place pour une seconde journée. De plus, tout parent reçoit 10 jours de congés par an et par enfant destiné à la garde d’un enfant malade. La Norvège est sans doute le pays le plus avancé sur la parité. Le congé parental de 12 mois peut être partagé entre la mère et le père (6 semaines minimum pour la mère et 2 semaines minimum pour le père). Depuis 2004, le gouvernement impose des quotas dans les conseils d’administration. Ainsi dans les sociétés anonymes publiques (2004) et les sociétés cotées en bourse (2006), il doit y avoir une représentation minimum de chaque genre parmi les membres des conseils, soit 40% environ. Il y a une réelle volonté gouvernementale en Norvège d’atteindre la parité homme / femme, la culture du pays allant dans ce sens.

Le Mexique
Le témoignage d’Elsa Marques (ECL 99) est très étonnant. Elsa est partie au Mexique pour vivre une expérience différente à la sortie de l’école. Elsa Marques gros plan + labo.JPG
Aujourd’hui, Elsa est mariée avec un Mexicain. Elle est chef de laboratoire R&D, chez TENARIS TAMSA au Mexique. Malgré cette réussite professionnelle, la culture mexicaine semble préférer que les femmes ne travaillent pas afin qu’elles puissent s’occuper des enfants alors même que la garde d’enfants paraît plus simple qu’en France. En effet, les femmes qui travaillent cotisent à l’IMSS (Sécurité Sociale Mexicaine) et ont accès gratuitement à des crèches très convenables. Cependant les femmes cadres préfèrent avoir quelqu’un à la maison car c’est beaucoup moins cher qu’en France. Le point noir reste les horaires des cadres qui sont très longs (45h et plus) et le peu de congés payés, en général 2 semaines seulement. Apparemment, le Mexique semble être un pays où les femmes ne sont pas très bien acceptées en entreprise.

Les Pays Bas
Florence Hélière (ECM 93) est partie aux Pays Bas à la suite d’un choix familial. Ce fut l’opportunité de suivre son mari et de pouvoir profiter de son petit garçon d’un an. Très vite Florence a eu envie de reprendre une activité professionnelle mais aux Pays Bas il est culturellement préférable que les femmes ne travaillent pas afin qu’elles puissent s’occuper des enfants. D’ailleurs les crèches sont rares et très chères. Cependant Florence a trouvé un poste intéressant à l’Agence Spatiale Européenne qui prône la diversité. La situation s’améliore, ainsi en 2002, 8% des femmes occupaient des postes qualifiés, alors qu’en 2008 c’était 16%.

La Suisse
En Suisse, l’évolution de carrière des femmes est parfaitement possible si les compétences sont là. Ainsi Sylvie Turbelin (ECLi 94) qui est aujourd’hui directrice d’hydro global site installation du groupe Alstom en France a eu en 2007 l’opportunité de travailler en Suisse pour Alstom. Malgré les opportunités de carrière, gérer sa vie familiale semble aussi compliqué qu’en France.

L’Autriche
Sophie Martre (ECP 81) en suivant son mari Centralien a vécu une expérience au Japon puis en Autriche. Sophie Martre ECP81.png
Pendant ces années passées à l’étranger, Sophie Martre s’est préparée à sa nouvelle activité et vient de lancer fin 2009 son activité de conseil, formation et coaching en proposant des services RH de proximité. Au Japon comme en Autriche il semble préférable que les femmes ne travaillent pas afin qu’elles puissent s’occuper des enfants même si cela change depuis peu en Autriche. Dans ces deux pays les femmes restent mal acceptées dans l’entreprise. Bien que l’état autrichien fasse beaucoup d’efforts pour celles-ci, l’évolution reste lente. Malgré tout il n’y a toujours pas d’écoles maternelles que l’Etat compense par des allocations familiales dégressive jusqu’aux 6 ans de l’enfant. Avec l’assurance que l’employeur réembauchera les femmes 6 ans après la naissance d’un enfant, aux conditions de temps partiel qu’elles souhaiteront. Quelques femmes apparaissent à des postes de responsabilité mais cela reste faible.

L’Italie
Etonnant ce témoignage de Mathilde Prot (ECL 00) qui après un double diplôme, ECL et Politecnico di Milano option bâtiment, a tout de suite été contactée par Qualigroup pour la création d’une filiale Qualiconsult en Italie. Aujourd’hui, cette filiale compte 50 personnes, et est l’un des organismes d’inspection les plus importants d’Italie. Mathilde Prot.png
Dans ce pays, Mathilde relate le manque de crèches, très chères, et l’absence d’assistantes maternelles. En clair, il faut se débrouiller. De plus, le droit italien permet aux femmes de reprendre le travail seulement un an après la naissance de leur enfant. Les employeurs hésitent donc à embaucher des femmes. Il est difficile en Italie de concilier carrière professionnelle et vie de famille.

Il ressort de tous ces différents témoignages, que les clés pour réussir à l’étranger sont : la maîtrise de la langue, une vraie curiosité envers le pays d’accueil ; sa culture ; son histoire, enfin la volonté de s’intégrer en participant aux évènements sociaux et culturels.
Avant de partir, de précieux conseils peuvent être obtenus sur le site des affaires étrangères (très bien fait).
Enfin, toutes les Centraliennes interviewées affirment que c’est une expérience très enrichissante à titre professionnel et également pour toute la famille.

Propos recueillis par Corinne Jaxel (ECLi 1985)